Les éditions Bourgois ont réédité le mois dernier trois œuvres majeures de John Fante, à savoir La Route de Los Angeles, Bandini, et Demande à la poussière. Pour l’éditrice, c’était l’occasion de « faire découvrir à la jeune génération cet écrivain américain encore trop peu connu ». Timing pas trop mauvais, à l’heure où la vieille garde de la littérature américaine semble séduire un nouveau public, James Franco interprétait Ginsberg dans Howl en 2010 et l’an passé, Walter Salles s’attaquait au manifeste beatnik de Kerouac, Sur la Route, pour l’adapter au cinéma également. Sans compter les expositions qui pullulent ici et là. Manuscrit original de 36 mètres, blablabla. Chaque décennie délivre sa dose de nostalgie sur la question.
Déjà en 1991, David Cronenberg s’était essayé avec le Festin Nu, Peter Weller dans le rôle de Bill Lee, alias W.Burroughs. Trois œuvres fondatrices que le cinéma a tenté de s’approprier tant bien que mal. Plus mal que bien. La tâche n’est pas des moindres, impossible diront certains. Fante aussi a eu sa part avec l’adaptation de Demande à la poussière de Robert Townes, avec Colin Farrell dans le rôle de Bandini et Salma Ayek en Camilla Lopez. Echec, « La vrai substance du texte », dont parlait Bukowski, laisse place à une histoire d’amour presque anecdotique de l’œuvre originale. Pourtant, l’écriture de Fante semble être plus approprié à l’image, son style très scénarisé lui ayant servi de gagne-pain toute sa vie à Hollywood.
En parvenant à préserver sa singularité et sa brutalité, Fante serait sans aucun doute un bon client pour les salles obscures. Et cela constitue un point d’ancrage non négligeable pour souligner la différence entre les écrivains beat et lui, plus proche d’un Céline que d’un Ferlinghetti.
« J’étais le Dictateur Bandini, l’Homme de Fer au Pays des Crabes »
Pour ceux qui ne le connaissent pas encore – nombreux selon l’éditrice Dominique Bourgois – John Fante n’est pas de ces écrivains qui chercheraient à vous expliquer comment tourne le monde. Il est l’inverse d’un écrivain mélancolique et désabusé, perdu dans le désespoir d’une Californie nouvelle et intellectuelle. Lors de sa rencontre en 1974 avec le grand Charles, le Chinaski devenu écrivain par amour de Fante, il lui confiait : « La pire chose qui puisse arriver aux gens c’est l’amertume. Ils deviennent tous si amers. » Fante a couru pour la gloire, sans vraiment la connaître. Sa condition d’ouvrier dans une conserverie de poisson cultivait en lui une haine profonde pour ces travailleurs infatigables et soumis, les mêmes qui lui riaient au nez quand il annonçait fièrement « je suis écrivain ». Fante n’a pas choisi la dèche pour se sentir plus proche de l’essence de la vie, il n’était pas un « monkey » des trottoirs comme Ginsberg, pas un « Clochard Céleste » épaulant Dieu dans la crasse. Lui n’a pas eu le choix. A l’intérieur brûlait l’ego du GrantEcrivain, osant se considérer comme le plus grand de son époque. Plus tard, c’est Bukowski lui-même qui le qualifiera ainsi, ajoutant en préface des principaux ouvrages de Fante ; « Il y avait là un homme qui avait changé l’écriture. Il allait toute ma vie m’influencer dans mon travail ». Rêve de gloire et mégalomanie délirante, Fante EST le plus grand, car il en a décidé ainsi. Il n’était pas beat. Jamais fatigué, jamais abattu. Il était plutôt la mauvaise herbe d’une société bétonnée, non accessible aux fils d’immigrés, vivant le rêve américain comme un redneck s’il avait pu.
Il n’a pas non plus cherché sa rédemption dans une quelconque forme de bouddhisme, ne s’est pas enfermé dans une baraque de tôle à Big Sur pour mieux apprécier les véritables choses de Dame Nature. Fante ne fuit pas, il fonce tête baissée dans la société, se rêve en dictateur des crabes un jour où la folie lui prend de s’emparer d’une arme dans un délire exutoire « Sur la Route de Los Angeles - 1933». Héritage mussolinien. Derrière son désir forcené d’intégration à l’Amérique, fantasme central de son œuvre, le sang de rital qui coule dans ses veines sera toute sa vie son handicap, et il reniera toute son existence cette Italie qui hante jusqu’au mobilier familial. « Tous ces objets font partie de l’héritage de mon père, et peu importe qui vient à la maison, mon père adore se planter à côté d’eux et plastronner. Alors je me mets en rogne contre lui. Je lui dis d’arrêter son cinéma de rital et d’être un vrai Américain ». Avant même d’avoir publié quoi que se soit, le jeune John Fante a entretenu une longue correspondance avec l’éditeur et créateur de la revue The American Mercury H.L Mencken de 1930 à 1952. Publié en 1991, l’ouvrage constitue la preuve majeure du personnage qu’il était, complexe, intéressé et arriviste au possible, fidèle à son alter ego Bandini qu’il façonnera par la suite.
Si John Fante est aujourd’hui considéré comme précurseur de la beat generation, simplement au même titre qu’Hemingway, Tom Wolfe, ou Proust, il serait difficile de le ranger dans la case tant le fossé semble immense par son mode de pensée. Quand Kerouac a « le désir subconscient d’échouer » et choisit la bohème pour échapper au quotidien bourgeois modeste dont il est issu, on peut se demander à quel moment commence l’imposture.
John Fante // Sur la Route de Los Angeles – Bandini – Demande à la poussière // Réeditions chez Bourgois.