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JEAN-LOUIS COSTES [INTERVIEW] ::: Dans la tête de Dieudonné

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dieudonne-porte-plainte-licra1Souvenez-vous, c’était hier. La France nageait en plein délire. Des matinées entières à voir passer en boucle sur nos écrans plats, de BFM à iTélé et de iTélé à BFM, entre deux pubs pour les monte-escaliers Stannah, le visage rigolard du fouteur de merde public numéro 1, l’humoriste Dieudonné. En contre-champs, une image sur deux, le premier flic de France, futur premier ministre, Manuel Valls, visage fermé, maxillaires contractés à s’en faire péter les couronnes.
Le showman venait de dépasser les bornes. Sur scène : « Quand je l’entends parler Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambres à gaz… Dommage ». Et la Main d’Or de s’esclaffer. Indignation. Le ministre de l’Intérieur veut faire interdire la tournée de Dieudo. Les préfets s’alignent derrière lui en rang d’oignons, on ne voit plus qu’une seule tête. Les premières annulations de dates tombent. Le débat s’enflamme : liberté d’expression VS incitation à la haine raciale.

Politiques, philosophes, éditorialistes, humoristes, artistes, miss météo… Tous se jettent tête la première dans la grande bouillie médiatique Full HD pour s’envoyer des bourre-pif en live et alimenter de leurs râles un inaudible débat. Ça faisait comme dans la vieille série de Batman, avec les onomatopées qui font : « Schlabim ! », « Kibâââm ! », « Plafich ! », « Clunk-eth ! »
Pendant ce temps, on imagine aisément Dieudo en chier de rire, le cul vissé derrière le bureau d’où il réalise ses vidéos, en martelant nerveusement du poing le bois de son plan de travail. Sûr qu’il a dû s’en payer une tranche. Bon, on l’a moins entendu quand les flics sont venus pour la perquize dans sa bicoque d’Eure-et-Loir, emportant au passage un grisbi de 650 000 balles en petites coupures.

Depuis, la passion est retombée, Dieudonné l’a un peu mise en veilleuse et Valls est devenu Premier ministre. Reste que personne n’a vraiment réussi à saisir les réelles intentions du showman. Antisémite déguisé en humoriste ? Humoriste déguisé en Goebbels ? Martyre de la liberté d’expression ? Coluche deux point zéro ? Aliéné mal diagnostiqué ? Che Guevara des haineux ? Suicidaire médiatique ? Même le vieux pote Elie avoue ne plus rien piper aux comportements de son ex collègue.

Sans doute faut-il, pour comprendre un taré, faire appel à un autre, à la manière de Clarice Starling, dans le Silence des agneaux, qui s’aventure à tailler une bavette dans le sordide nid de coucous d’Hannibal Lecter, afin qu’il lui livre, contre un sujet de branlette, ses intuitions sur l’identité d’un autre tueur en série, pour faire avancer une enquête au point mort.
C’est pourquoi, dans l’affaire qui nous préoccupe, il n’y avait qu’un taré capable de comprendre Dieudo : son jumeau bénéfique, le performer trash et culte des bas-fonds, Jean-Louis Costes. Attaqué pour condamnation à la haine raciale (mais blanchi par la justice), il a subi des pressions, des attaques psychologiques comme physiques, qui l’ont presque démoli. Une trajectoire parallèle à celle de Dieudonné, version hors-champ.

En plus, Costes est un mec accessible, facile à joindre. En un clic, on trouve son email sur son site web : une page perso absolument dégueulasse, dont le poisseux est presque palpable en touchant l’écran. Un carnage de HTML battu jusqu’au sang qui mériterait, si pareille cérémonie existait, un Award d’honneur de l’objet le plus laid et malfaisant de l’histoire des télécommunications modernes (Attention : ne pas confondre avec Jean-Louis Costes, député de Lot-et-Garonne, dont la page web est aussi lisse que le marbre de la salle des Quatre Colonnes). Le performer répond immédiatement à la demande d’interview : « Dieudonné ? Ah oui, c’est effectivement un sujet intéressant pour moi !!!! »

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Jean-Louis Costes, vous avez eu des ennuis judiciaires pour incitation à la haine raciale. Pouvez-vous nous expliquer l’affaire ?

J-LC : Le truc classique. J’avais une chanson [Livrez les blanches aux bicots, NDR] dans laquelle il y avait des paroles racistes, donc on m’a accusé d’inciter au racisme. L’accusation est tombée dix ans après le disque que j’avais fait pour se foutre de la gueule des fascistes en 1988, quand on commençait à parler de Le Pen. C’était une parcelle de texte qui était en question. Quand il y a un méchant dans un film, ça ne veut pas dire qu’on incite au meurtre. Si on représente le Mal dans l’art, est-ce que l’on pousse au mal ? Eternel débat. Mais sur le racisme, les accusations ne tenaient pas debout, vu le milieu que je fréquentais. A cette époque, j’étais très à gauche, j’étais dans les squattes politisés. Je recevais des menaces des skins à cause de ce disque. Dix ans plus tard, je mets les paroles sur Internet, parmi d’autres, car j’archivais mes disques, avec des extraits de tous mes albums. Et là, on fait un procès à cause de l’interprétation inverse de l’œuvre !

Quand Dieudonné joue les racistes sur scène, pensez-vous que ce soit la même démarche ?

La scène est un espace à part. Elle est matérialisée par une limite physique. Dieudonné, il y monte tous les jours de 20h à 21h. C’est pas une Femen. D’ailleurs, c’est pas un spectacle, ça. Parce que le public n’est pas consentant et qu’il n’a pas payé d’entrée. Mais quand il y a une scène, dans un lieu clos, où les gens ne sont pas venus par hasard, on peut y représenter un crime. Ça, c’est clair. D’ailleurs, le ressort principal du théâtre, de l’art, c’est le Mal. Au Moyen-Age, le jour du carnaval, on pouvait s’habiller en évêque et se mettre une carotte dans le cul, le tout devant la cathédrale. Mais seulement le jour du carnaval. Jamais pendant la messe. Après, c’est possible que lorsque Dieudonné joue les antisémites, il soit vraiment antisémite. A ce moment là, il y aurait un croisement dans l’œuvre entre lui et son personnage. Mais comme le gars joue bien, on ne peut pas savoir, et on n’a pas à se poser la question. Mais s’il tient les mêmes propos dans une interview, alors là, stop ! On vit dans une société où ces propos sont condamnables. Sinon, on se traiterait tous de négros ou ce genre de truc. Mais dans la vraie vie, il n’y a même pas de petites vannes à faire là-dessus. Moi je vis à Saint-Denis, et je peux vous dire que c’est très chaud en ce moment. Dans le quartier où je suis, il n’y a plus d’enfants juifs à l’école. C’est vous dire le niveau de violence en France. Donc il ne faut pas s’amuser dans la vraie vie avec ces sujets.

« On ne devient pas raciste à cause d’un comique. »

Que pensez-vous de la quenelle ?

Ben, quand on voit Alain Soral faire une quenelle à Berlin [devant le Mémorial de la Shoah, ndlr], c’est pas un salut nazi. C’est un « fuck you ». Mais il sait qu’il est dans un contexte où ça ne se fait pas. J’ai entendu le mec du Crif [Conseil représentatif des institutions juives de France, ndlr] dire à la radio que c’est un salut nazi. C’est piégeux de dire ça. Il passe pour un idiot. On ne va pas commencer à attaquer tous ceux qui tiennent leur doigt à l’envers ou à l’endroit ! Je pense que ce mec est mal renseigné, parce qu’il est trop âgé. La quenelle, c’est un bras dans le cul. Dans une société de rigolade comme les années 1970, faut voir ce que faisaient les comiques. Ça pouvait être grave raciste. Mais aujourd’hui, on sent bien qu’il y a des tensions. On sent quelque chose dans l’air. Et là, une fois sorti de scène, faut faire attention.

Justement, Dieudonné cultive cette ambiguïté permanente. Descendu de scène, il organise des meetings, supporte la Palestine, attaque le sionisme et publie des vidéos polémiques sur son site…

Jean-Louis-Costes-Grand-pere_referenceOui, mais il ne le fait que dans un contexte qu’il lui est favorable, sinon il va prendre des baffes. Dieudonné, ça fait longtemps qu’il a des procès. Mais quand on a des procès tous les jours, avec le téléphone qui sonne toute la nuit, comme ça m’est arrivé, on m’accusait d’être un fasciste, un révisionniste, plein de trucs… C’était fou. Je voyais mon nom dans des grands journaux français, c’était n’importe quoi. A ce moment-là, la haine monte en vous. Quand on est agressé, on a l’impression qu’on va basculer. Moi, je me suis fait taper dans la rue… Et même sur scène. Mais bon, la scène, la nuit, dans des endroits mal protégés… Tout peut arriver. Jusqu’à maintenant, je ne peux plus faire de spectacles. On m’a barré la route définitivement. Parce que les gauchistes se pointent pour faire une justice à bon compte. Il y a tout un enchainement de folie, à cause d’un bruit, une rumeur… Alors on devient méchant parce qu’on est emmerdé, et alors on voit des gens qui complotent contre vous partout.

Vous pensez que c’est ce qui est arrivé à Dieudonné ?

Je ne sais pas comment il résiste. Il doit avoir une force de caractère anormale… Il doit être sur les nerfs… Il doit plus en pouvoir… Je ne sais pas mais quand on est dans une situation de difficulté, on s’en fout du racisme. On a envie de descendre quelqu’un. Quand on est sur le point de perdre sa maison, on se dit qu’on va aller choper un journaliste… Une fois, j’ai vu un truc avec Elie Semoun et c’est bien ce qu’il a dit. Lui, on voit qu’il a de l’empathie pour Dieudonné, et il voit qu’il déconne, que c’est dommage. Ses raisonnements, niveau racisme, sont insensés, trop globaux. Surtout pour un gars qui a des contacts avec l’international. C’est dur d’être raciste. C’est un truc quand on reste dans son bled et qu’on y connaît rien. Donc on s’imagine. Mais quelqu’un qui a travaillé dans le milieu de l’art sait que tout le monde est un étranger. Il ne peut pas croire ça. Surtout que ce mec est intellectuellement valable. Tenir une salle tout seul, sans se foutre à poil, sans musique… Moi je n’y arrive pas. Je sais que ce mec rempli des salles, où des gens l’écoutent et ça, c’est incroyable.

La loi interdit le racisme mais elle ne dit pas « sauf dans l’art ».

Pensez-vous qu’il soit normal d’avoir interdit son spectacle ?

Si on commence comme ça, alors on interdit toute la culture française, à commencer par Sade. En France, il n’y a pas de liberté d’expression, uniquement de la jurisprudence. La loi interdit le racisme mais elle ne dit pas « sauf dans l’art ». Alors qu’en Suisse, ils ont des lois vraiment dures, comme sur la scatologie, mais ils ont clairement précisé « sauf dans l’art ». Ici, quand on arrive devant un juge, il peut vous dire : « Mais vous, c’est pas de l’art. Vous jouez dans une cave donc vous êtes une secte. Parce que vous vous cachez ! » J’ai entendu ça. Mais je ne me cachais pas, j’étais dans une petite salle de spectacle qu’ils ne connaissaient pas. Les juges, ils ne connaissent que le Zénith ou l’Olympia.

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Qui vous a empêché de jouer ?

Déjà, tout ce qui est subventionné. Tricard ! Tiens, la toute première émission de Tracks, en 1997, c’était à l’époque où mon procès démarrait. Comme un con, j’en ai parlé, parce que je trouvais ça drôle. Parce que j’ai gagné, mais après, ça a recommencé, parce qu’on peut être attaqué plusieurs fois par les mêmes faits, ce qui est un truc de dingue. Donc j’en ai parlé autour de moi. J’avais loué une petite salle à Paris pour faire une perf’, Arte devait venir filmer et, dans l’après-midi, le rédacteur en chef m’appelle pour me dire que la direction est intervenue pour que le sujet ne soit pas tourné. C’était la première fois de ma carrière que ça arrivait. A cause de mon procès pour incitation à la haine raciale. Et au meurtre, aussi, ils disaient.

« Dieudonné fait de l’art engagé de droite. »

Quand Dieudonné dit, au sujet du journaliste Patrick Cohen, que c’est dommage qu’il n’y ait plus de chambres à gaz, ou qu’il fait une chanson qui s’appelle Shoah Ananas, vous trouvez ça drôle ?

S’il a dit un nom de personne, c’est plus chiant.

Oui, enfin c’est surement plus la chambre à gaz qui a choqué…

Je répète : la scène c’est un no man’s land. C’est le lieu du n’importe quoi. Mais s’il fait ça pour défendre des opinions politiques, c’est de l’art engagé, je dirais. Mais l’art engagé, le seul qui soit autorisé, c’est celui de gauche. Vous l’avez sans doute remarqué ? Donc, Dieudonné fait de l’art engagé de droite. Alors, ce qu’il pense en politique dans la vie, il le défend sur scène. Mais dans ce cas, je trouve ça nul. C’est chiant. C’est prémédité. C’est même pas drôle. Et à ce moment-là, son public, c’est que des convaincus de la connerie. Quand on va au spectacle on a une opinion, on va voir un mec qui pense pareil et on sort en pensant toujours pareil. C’est un truc pour les robots. Je ne supporte pas ça.

 

Que pensez-vous du fait que l’interdiction de ses spectacles soit venue d’un ministre de l’Intérieur, relayée par les préfets ?

costes-2Sur quoi ils se fondent ? Mais vous savez, quand il y a un fabriquant de pneus qui veut racheter une usine à Amiens et qui se moque d’Arnaud Montebourg, et bien le ministre, il n’a pas de moyens de pression sur ce gars-là. Il ne peut rien lui dire. [Maurice Taylor, PDG du groupe Titan, dans une lettre au ministre, qualifiait les ouvriers de l'usine Goodyear d'Amiens de "soi-disant ouvriers" qui travaillent "trois heures par jour". Montebourg lui a répondu en dénonçant des propos "extrémistes" et "insultants", et a promis à Titan un zèle douanier "redoublé" sur les pneus qu'il importe, ndlr]. L’autre est américain, il dit ce qu’il veut. Mais quand le ministre dit : « On va contrôler tous les pneus de votre marque aux douanes »… Alors, là… Vous voyez le dérapage (sic) ? Ils emploient les outils de l’état pour te baiser la gueule. On se demande quand ils vont arrêter, après. Les comportements autoritaires, c’est toujours pour le bien ! Donc ils peuvent empêcher un spectacle pour des propos racistes et le condamner. Et après, ça fait une jurisprudence. D’autres gens vont porter plainte et ils vont s’appuyer sur cette décision de justice pour faire interdire ceci ou cela. Valls veut lutter contre un antisémite. Ok. Après ça, des gens vont s’énerver en réclamant une décision de justice parce qu’un mec a pissé sur un crucifix pendant un spectacle. Ça va, quoi ! Les politiques, ils ouvrent des boites de Pandore toute la journée. Je ne sais même pas s’ils travaillent. Mais de quoi on parle ce soir ? D’un mec qui fait des spectacles ! Ils nous lancent une cacahuète tous les trois jours ! On est dans un pays qui ne pourra bientôt plus payer ses dettes ! C’est ridicule !

« J’ai fait appel à la Ligue des Droits de l’Homme, en leur envoyant mon dossier. Et là, paf ! Ils m’attaquent ! »

Pour revenir à vos procès, qui vous avait attaqué ?

L’UEJF [Union des étudiants juifs de France, ndlr]. Ils faisaient beaucoup de procès, à l’époque. Ils étaient très à la pointe. Et ils me sont tombés dessus. Mais par pour des questions antisémites, juste parce qu’ils ont aussi un statut anti raciste pour pouvoir attaquer en justice. Même mon avocat ne comprenait pas pourquoi ils m’avaient attaqué. Après, j’ai eu sur le dos d’autres associations, le MRAP [Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, ndlr] et la LICRA [Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, ndlr]. Et puis, comme je n’avais pas de thunes pour un avocat, j’ai fait appel à la Ligue des Droits de l’Homme, en leur envoyant mon dossier. Et là, paf ! Ils m’attaquent !

Qui ? La Ligue des droits de l’homme ?

Oui ! (rires). C’est énorme ! C’est moi-même qui leur ai donné le dossier ! Moi, je me suis dit qu’on avait bien trouvé un avocat à Klaus Barbie, alors pourquoi pas moi ? En tout cas, les assos anti racistes voulaient faire arrêter mes spectacles, fermer mon site Internet… A l’époque, ils pensaient qu’Internet allait permettre un déferlement incontrôlable d’opinion. Ben oui ! Ils sont tombés sur moi un peu par hasard.

Pensez-vous que beaucoup de Français soient racistes ou antisémites ?

Des antisémites, y en a plein. Toutes les communautés sont en train de se monter les unes contre les autres. C’était pas comme ça quand j’étais jeune. Il y avait un facho du village, avec son béret, qui distribuait des tracts à la sortie des concerts, mais c’était tout. Aujourd’hui, il y a plein de jeunes, pas méchants, mais qui attendent le gourou. Ils ont une vie de merde, au RMI… Dans les milieux de la musique que moi je connais, il y a des mecs qui sont branchés Soral. Les jeunes, en France, ils sont vraiment à droite, à mon avis. Allez vous promener avec une kipa dans Saint-Denis ! Non mais sérieux ! Déjà une fille blonde… Non, faut pas le faire. Je ne prendrai pas ce risque. Faut pas rigoler avec ça. C’est pour ça que si Dieudonné entretient une confusion là-dessus, faut qu’il arrête. Lui, ou d’autres. Y a un truc dans la société actuelle : on ne devient pas raciste à cause d’un comique. J’ai des amis dont les enfants sont dans une école juive à Montreuil, ils se font agresser sans arrêt dans la rue. Moi je ne vais pas foutre ma fille qui est métis asiatique dans une école où elle va se faire démonter la gueule toutes les cinq minutes. Non. Et si j’étais juif, je ne prendrais pas le risque. Il y a une grande misère en France.

http://jeanlouiscostes.free.fr

Crédit portrait d’ouverture : Renaud Monfourny


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