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Quarante ans après, le ‘’Sand’’ de Ragnar Grippe remonte à la surface

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DAIS097 - RAGNAR - COVER 3000x3000 (2)C’est un disque en forme de vagues, mais qui n’en fera pas beaucoup. Remis dans le contexte de l’époque, le « Sand » de Ragnar Grippe, jeune violoncelliste suédois fraichement débarqué à Paris en 76, n’a pourtant guère de défauts ; il en a deux. Avoir été signé sur ce qui reste la grande fierté de la France avant-gardiste des seventies (Shandar, où ont été publiés les disques de Terry Riley, Pandit Pran Nath, Philip Glass, Sun Ra…) et, pour cette raison, avoir été superbement ignoré par la jeunesse empapaoutée par le punk; puis avoir pris tellement d’avance sur le son de l’époque que oui, il les fallait peut-être, ces 40 ans d’échos, pour mieux saisir à quel point « Sand » est un disque fondamentale, sans le savoir, du son minimaliste.

Minimaliste, entendons-nous bien. Ce qui frappe, à l’écoute des deux pistes de cet Ovni répétitif, c’est la mélodicité qu’on découvre dans chacun des plis ; cette impression de grandeur contenue en si peu de notes qu’on se demande comment un seul type est parvenu, avec des moyens aussi limités – Shandar n’était pas la Motown – à préfigurer ce que sera l’ambient de Brian Eno, mais sans le côté musique d’attente si cher aux prothésistes dentaires qui peuplent la communauté des audiophiles.

Allo Ragnar

Au départ, « Sand », déjà, est un hasard. Composé pour illustrer une exposition du peintre indien Viswanadhan Velu à la galerie Shandar, les deux plages hypnotisantes ne doivent leur salut qu’au fait que Ragnar, de son propre aveu, ne connaît rien à la musique indienne. L’étrangeté qui se dégage du disque vient certainement de cette méconnaissance du sujet d’étude ; car contrairement à Terry Riley ou Glass, deux compositeurs ayant massivement disséqué l’harmonie des tablas et autres motifs répétitifs, lui avoue au téléphone, dans un Français parfait, que le disque lui est tombé des doigts naturellement. « Cela peut sembler étrange, mais à l’époque je n’avais jamais entendu parler des travaux de Steve Reich ou Glass ». Après tout, pourquoi pas. Cela n’empêchera pas Ragnar, quelque temps après la sortie du disque, de jammer avec Riley aux Etats-Unis lors d’un colloque.

La mer ramenant toujours les rescapés sur le bord de plage, on est tout de même surpris que « Sand », intégralement joué par un seul et même musicien (orgues, harmonica, maracas, guitare électrique), se hisse aussi directement au niveau de « Music in Twelve Parts » et soit, même, mille fois plus écoutable, digérable… digéré ? L’un des éléments de réponse tient peut-être dans le nom des mentors de Ragnar : Pierre Schaeffer, aux côtés duquel il a étudié au sein du Groupe de Recherches Musicales, et surtout Luc Ferrari, grand artisan du son du GRM, avec qui il fondera le studio de l’Atelier de la Libération Musicale. Quand on lui fait remarquer que pas plus Ferrari que Shandar n’ont ici marqué les esprits, Ragnar, reparti vivre en Suède voilà en 94, s’étonne. « Ah bon ? ». Eh oui, même quarante après, nous en sommes encore là. La France, et son incurable amnésie sur ses origines, et l’incapacité à apprécier ce qui se trouve à ses pieds. Du sable, justement.

La musique, concrètement

Dans le studio de Ragnar, en 1977, des « orgues bas de gamme » suffiront à composer cette messe cosmique de cinquante minutes qui fait aussi beaucoup penser au « Imaginary Choregraphy » de Paki & Visnadi (réédité chez Antinote en 2015). Vendue à prix d’or sur Discogs – 100 € en moyenne – « Sand » ne doit sa résurrection, encore une fois, qu’à la chance. Alors que la légende raconte que la mort de Shandar fut causée par une inondation – une cave où furent englouties stock et masters du label, ce que Ragnar confirme – lui eut l’intelligence de garder ses bandes avec lui, voire même de faire plusieurs copies. Au cas où. Une certaine lueur d’esprit dirons-nous, qui permet aujourd’hui à « Sand » de revivre une seconde fois, à la grande surprise de son compositeur. « Hormis une très modeste réédition CD dans les années 90, personne ne s’était jusque là intéressé à ce disque. En tant que musicien, forcément, on n’aime jamais regarder en arrière ou reproduire ce qu’on a déjà fait, mais cette réédition me donne l’impression d’avoir 25 ans à nouveau ! ». Plus que de rajeunir, pour être précis, cette musique divine conserve. Contrairement aux meubles IKEA, elle reste livrée sans mode d’emploi, ne vise rien d’autre que l’absolu et utilise les rudiments de la musique concrète (les bruitages omniprésents sur le disque, les cloches-métronomes, tous ces signifiés qui deviennent signifiants) pour mieux s’en éloigner. Ce qu’on entend là, c’est le bruit du coton. L’envie, de parler au plus grand nombre avec la mélodie comme seul axe central. Le souci du simple donc.

Plus tard, Ragnar travaillera avec la chorégraphe Carolyn Carlson, puis fera carrière en Suède grâce aux bandes originales « pour des films commerciaux ». C’est à ce moment là de la discussion avec Ragnar Grippe que la communication Skype qui devrait servir à ce portrait a commencé à se détériorer, d’abord par intermittences, puis complètement. Allo, Ragnar ? Et puis, sans raison, quand Ragnar est revenu, l’enregistrement s’est mystérieusement effacé. C’était comme si, quarante après, tout était encore à recommencer. La marée avait recouvert le sable.

Ragnar Grippe // Sand // Réédition vinyle chez Dais Records

 


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