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Channel: Gonzaï
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Clea Vincent Pauvre petite fille seule

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Le problème avec les blagues qui s’étirent en longueur, c’est que fatalement vient toujours le moment où l’on regarde son interlocuteur en se demandant quand il va enfin s’arrêter. Dans le cas du « Retiens mon désir » de Cléa Vincent, premier effort récemment paru chez Midnight Special, l’étape de la souffrance intervient avant même la chute de cette petite histoire intra-muros dans laquelle une fille de son temps – trentenaire, un mini clavier dans sa chambre de bonne payée avec un CDD chez Quick – erre de chanson en chanson pour raconter à quel point la vie c’est compliqué quand on n’a que Garageband ou Protools pour s’extirper du quotidien grisâtre et de l’enfer de la ligne 13 (blague de Parisien zone 1-2).

Martine fait de la pop

A l’intérieur de ce téléfilm M6 où chaque morceau pourrait être entonné par un bus de collégiens de la promo Corynne Charby ’84, les images d’Epinal se succèdent comme au jeu des 1000 bornes. C’est atrocement long, linéaire et, pardon de le dire, efficace. Diablement efficace. Fort habilement, on a pensé à placer un single imparable (J’my attendais pas) en tête de gondole (la piste 1) et qui, si l’on parvient à faire abstraction des paroles niveau CE2, a au moins le mérite de faire tapoter du pied jusqu’au plus unijambiste des détracteurs. C’est même l’un des problèmes fondamentaux de cette comédie musicale inspirée par La boum de Sophie Marceau : elle est aussi régressive qu’elle donne envie de se jeter par la fenêtre, aussi impeccablement jouée qu’elle est flatteuse pour l’oreille de celui qui désespère de revivre pendant 3’30 une jeunesse perdue à jamais.

Cette « pop normale », aussi touchante puisse-t-elle être pour cette génération de gros bébés en manque de câlin et de repères socio-culturels, n’empêche pas Cléa Vincent de n’être qu’une Louane du pauvre. Peut-être les historiens du siècle prochain pourront nous éclairer sur les mystères de ce songrwriting Cajoline ; mais en attendant, les paroles de titres comme Retiens mon désir (« Je t’aime parce que tu es mon contraire / Je serais le sable et tu serais la mer / On pourrait nager sous les bateaux ») confirment qu’il y a mille fois plus d’authenticité chez un groupe comme Odezenne que dans l’intégralité du répertoire sous-funk mi-Laure Briard mi-Carlos (et hélas, pas le terroriste) de Cléa Vincent.

F(l)emme fatale

On entend d’ici les fémini(mini)stes de tout poil hurlant au sexisme sur la base d’arguments empruntés au dictionnaire Clémentine Autain ; n’en reste pas moins qu’en jouant à outrance sur la faiblesse et de la fragilité comme seuls murs porteurs de ce petit monde très Barbie-pop, Cléa Vincent fatigue à jouer à la fi-fille ingénue et conforte cette théorie selon laquelle on ne combat pas les clichés en se complaisant à l’intérieur.
Finalement pas pire, pas mieux, que la pop cinquième degré de The Pirouettes qu’on chantera en version karaoké avec ses potes salariés le week-end pour tout oublier, ce disque mériterait presque – tentons de relativiser – d’être détruit dans un sanibroyeur (exception faite, peut-être, du très Stevie Wonder Amanda et du dépouillé Clair-Obscur) afin qu’on puisse tous en finir avec la musique-divertissement à faux double-fond destiné à des auditeurs qui refusent de grandir. Vous voulez du rétro, de l’adulescence et des chansons de scout ? Devenez éducateur spécialisé, faites quelque chose de votre vie bordel.

Nous conviendrons tous qu’il y a des choses bien plus grave : la guerre en Syrie par exemple, l’inégalité homme-femme sur les salaires ou encore la coupe de cheveux de NKM. Tout cela est vrai, bien entendu, mais tout cela ne serait finalement pas si grave si on n’en venait pas à douter de la sincérité du propos artistique et de l’opportunisme qu’il peut y avoir à faire de la naïveté un argument marketing pro-femmes fragiles. Peut-être, après tout, « Retiens mon désir » n’est-il qu’une blague sans chute. Un puits sans fond dans lequel on tomberait sans savoir à quel moment on arrêtera d’avoir mal. La fin du disque, de ce point de vue, sonne comme un heureux dénouement.

Clea Vincent // Retiens mon désir // Midnight Special
http://shop.midnightspecialrecords.com/album/cl-a-vincent-retiens-mon-d-sir


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